Le Guide du chasseur-cueilleur égaré au 21ème siècle, de Heather Heying & Bret Weinstein examine notre vie moderne du point de vue de l’évolution. Il permet de comprendre la condition humaine moderne à partir de notre passé. Il passe en revue un grand nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés et montre comment nous pourrions les résoudre si on les observait à travers le prisme de l’évolution.

Rencontre avec les auteurs.

Faut-il regarder le monde moderne avec les yeux des chasseurs-cueilleurs que nous sommes ?

Bret Weinstein : Il nous faut réaliser qu'une très grande partie de notre histoire récente a été consacrée à la chasse et à la cueillette dans les plaines d'Afrique. Tout cela joue un rôle important dans ce que nous sommes. 

Heather Heying : Il est utile de considérer que nous sommes adaptés à un certain degré à tous les stades de notre passé. Alors se considérer comme des chasseurs-cueilleurs est utile, se considérer comme des agriculteurs est utile – par opposition aux industriels. Aussi, si vous remontez dans le temps, depuis les chasseurs-cueilleurs, en reconnaissant ce que nous sommes en tant que singes, en tant que primates, en tant que mammifères, en tant que poissons, en tant qu'animaux : tous ces groupes auxquels nous appartenons nous disent quelque chose de vrai sur qui nous sommes en tant qu'humains modernes.

Comment envisager la nutrition d’un point de vue évolutionniste ?

B.W. : Nous parlons par exemple dans le livre du soleil et de la vitamine D. Les dermatologues nous disent qu'il faut moins s’exposer au soleil pour diminuer le risque de cancers de la peau. Mais de nombreuses autres études ont un point de vue plus holistique : l’exposition au soleil peut favoriser l’immunité, la prévention des cancers, la prévention des infarctus. Or les mêmes dermatologues qui nous encouragent à nous badigeonner de crème pour éviter un cancer de la peau, disent que l’on doit prendre de la vitamine D pour éviter les déficits. Quiconque donne ces deux types de conseils devrait se rendre compte de sa propre dissonance cognitive, se dire « j’ai ces deux parties du conseil que je suis censé te donner, et les deux ne peuvent pas être également vraies ». Il doit y avoir un compromis. Donc, oui, l'exposition au soleil cause le cancer, mais ce n'est pas toute l'exposition au soleil qui cause le cancer, ce sont les coups de soleil. Et ce ne sont pas tous les coups de soleil. C'est de façon disproportionnée les coups de soleil que vous attrapez quand vous êtes jeune.

 

Comment voyez-vous le vieillissement d’un point de vue évolutionniste ?

H.H. : La sénescence est le processus par lequel les organismes biologiques deviennent plus faibles et inefficaces avec l'âge. Ainsi, un diamant vieillit, mais il ne devient pas un diamant diminué, alors qu’une personne vieillit et elle est diminuée. Nous avons une très bonne idée de ce qui se passe parce que George Williams, l'un des grands biologistes de l'évolution du XXe siècle, a présenté en 1957 un argument très élégant avec merveilleuses prédictions qui ont été testées. Le génome est trop petit pour faire une créature aussi complexe qu’un être vivant, donc presque tout dans le génome fait plus d'une chose. C'est ce qu'on appelle la pléiotropie. Et l'implication de la pléiotropie est qu'il y aura un sous-ensemble de gènes qui feront quelque chose qui vous sera bénéfique tôt dans la vie, avec un certain prix à payer plus tard dans la vie. Et l'idée clé est que la sélection se soucie beaucoup plus des avantages à court terme que des coûts tardifs. La raison en est que beaucoup de gens ne vivent pas assez longtemps pour subir les conséquences tardives que l’on vient d’évoquer. Donc, imaginez que vous avez un gène qui détruira votre cœur le jour de vos 111 ans. Il y a de fortes chances que cette chose ne vous coûte rien, car vous n'êtes pas vraiment susceptible de fêter votre 111ème anniversaire. Donc, si ce gène est couplé à certains avantages dans la petite enfance, la sélection le verra comme une bonne affaire. La sélection collecte toutes ces bonnes affaires. Mais en vieillissant, vous êtes davantage exposé à leurs inconvénients. Cette idée a été testée de manière très approfondie, et elle s'avère juste.

B.W. : Et il y a une analogie avec la civilisation car nous avons involontairement construit un processus presque exactement analogue. On vous incite à innover et on vous récompense si vous y parvenez, grâce au profit. Cela signifie que si vous proposez un processus spectaculairement génial, vous serez alors largement récompensé. Et donc il y a une course pour trouver toutes les choses spectaculairement géniales que nous ne savons pas encore faire et les mettre sur le marché. Mais le problème est que chacune de ces choses que vous mettez sur le marché a des inconvénients. Au moment où nous avons innové en créant le moteur à combustion interne, c'était en soi une chose miraculeuse. Cela permettait de prendre une substance inflammable et de l'utiliser pour faire presque n'importe quel type de travail physique, du transport à la gestion d'une usine. C'est une bonne chose. Mais il portait en lui la capacité de modifier l'atmosphère d'une manière qui pouvait rendre la terre beaucoup moins habitable. Mais ce coût est très tardif. Dans notre système, nous accordons des gains économiques à ces types d'innovations. Ces gains économiques se traduisent ensuite en pouvoir politique. Ainsi le profit devient pouvoir politique. Cela signifie qu'une fois que nous avons découvert les inconvénients de ces innovations, il n'y a aucun moyen de revenir en arrière. Parce que les industries qui les génèrent sont si puissantes, qu’au moment où l’on découvre que les conséquences sont intolérables, il n'y a pas moyen de les arrêter. Nous continuons donc à accumuler ces processus qui ont un avantage précoce, et un coût tardif. Et nous souffrons maintenant, en tant que civilisation, du préjudice collectif de tous ces coûts tardifs, tout comme la personne âgée. Donc, ce que nous avons fait maintenant, si cette analyse est juste, c'est un processus qui va entraîner la mort de cette civilisation, en vertu du fait qu’on a structuré le profit économique de manière à générer du pouvoir politique et à faire en sorte qu’on ne puisse pas défaire des choses qui s'avèrent nuisibles.

B.W. : Nous allons devoir accepter que le changement est un facteur important, mais ne pas nous y exposer sur tous les fronts à tout moment. En particulier, il n'y a aucune raison d'y exposer nos enfants. Par exemple, pourquoi avons-nous supposé que ce serait une bonne chose que de les mettre devant des écrans au travers desquels de grandes entreprises avec des objectifs pervers accèderaient à leur esprit ? Est-ce qu'on pensait que c’était une bonne chose ? Ou aurions-nous pu réaliser dès le départ qu'il y avait là un danger et que nous devions aller lentement ?